Archive du mardi 13 novembre 2007
Cher Francis,
« Galère » Ce mot est souvent employé ces temps derniers afin de décrire les difficultés entraînées par le mouvement de grève reconductible qui démarre ce soir. Le mot revient ces jours-ci en boucle, dans les journaux, à la télé, sous la plume et dans la bouche des grotesques pitres qui prétendent nous informer.
Les grèves sont des « galères », nous disent-ils, et nous ne faisons plus guère attention à ce que véhicule ce terme. La raison du recours à l’usage du mot, « galère », est de nous suggérer que les grévistes sont de sinistres gardes-chiourmes, qui vont sous le fouet nous enchaîner à nos bancs de nage. Cette affirmation est encore enrichie par d’autres termes comme « pris en otage »
Tout est fait sur le plan des médias pour organiser un authentique procès d’intention aux grévistes afin de les décrédibiliser aux yeux de l’opinion publique.(Salauds de grévistes: les journaleux couchés n’ont pas fini de leur faire payer l’instinct de liberté qui, par contraste, révèle si crûment leur propre soumission aux pouvoirs qui les tiennent.) Ce soir encore au journal télévisé, l’information autour de la grève montrait de façon évidente la compromission des médias. Sur près de 20 minutes de reportages liés à ce sujet , seules quatre minutes étaient consacrées aux revendications des conducteurs grévistes et à l’exposition rapide de leurs griefs. Ce sujet passé au début des séquences fut tout de suite suivi par des vociférations d’usagers organisés pour certain d’entre eux en associations!
Face à ces ires, qui je dois l’admettre sont parfois bien légitimes, le téléspectateur a vite fait d’oublier ce que le cheminot vient de dire il y a un quart d’heure sur le danger de mettre des plus de 55 ans aux commandes des trains. Je ne suis pas dupe, là encore il y a pas mal de mauvaise foi. Néanmoins j’aurai voulu que le journal télévisé de ce soir montre des usagers solidaires avec les grévistes. J’ose encore penser que dans ce pays il reste encore des personnes pour qui cette grève sera l’occasion de freiner les ambitions d’un gouvernement ultra-libéral qui ne s’arrêtera pas à cette réforme. Des gens qui supportent (à tous les sens du terme) la grève et sa « galère » .
En bref des gens qui se résignent être éclaboussés voire à ramer un peu pour éviter que le bateau tout entier ne coule. Il faut dire que lorsqu’un bateau sombre, plus on est au fond de la cale, moins on a de chances de s’en sortir et que chemin faisant, le bateau France ne cesse de vider son pont.
Treize ans plus tard, après les gilets jaunes (qui vont sans doute revenir en force après la crise sanitaire), ce texte est plus que jamais d’actualité dans un pays où les inégalités vont encore se creuser (le pont qui se vide et les cales qui se remplissent) suite aux conséquences économiques du virus. Je m’attends ainsi à des gestes désespérés, à des conflits violents et au final au vote populiste (en mode crétin plus) le tout suivi d’un éventuel conflit civil. C’est bien ça le drame de l’histoire humaine, les progrès sociaux ne peuvent se faire qu’au prix de violences et de sang versé. Après tout c’est normal, nous ne sommes que des animaux psychotiques… 🙄