
Aujourd’hui c’est donc Carnaval. C’est un jour assez spécial pour moi car il recèle plusieurs niveaux de nostalgie. En premier lieu, comme chaque année malgré ses soucis de santé, ma mère a fait une grosse tournée de beignets. C’est la photo du jour faite un peu après la rédaction de ce billet que j’ai donc édité.
Poust avait ses madeleines moi j’ai mes beignets, cette douce odeur que je ne sens depuis quelques années qu’une fois par an chez moi, me transporte bien loin en arrière du temps de mon enfance et plus particulièrement des jours autour de Carnaval.
Ces carnavals de mon enfance, se faisaient la plupart du temps avec les copains et les copines les pieds dans la neige (un machin froid blanc et marrant qui tombait du ciel de fin novembre à début avril). Nous avions cartographié notre secteur du village en repérant les personnes les plus généreuses et dès la fin de Noël nous pensions déjà à cette nouvelle occasion de nous remplir les poches de bonbons et de quelques pièces. Je me souviens avoir demandé aux gens de me donner une pièce de 1 centime car je rêvais d’en avoir une… Si jeune et déjà l’âme d’un numismate, heureusement que je me suis calmé avec ça. Donc je n’ai jamais eu de pièce de 1 centime et j’ai du attendre très tard pour en acheter une sur Ebay, disons trente ans… 🙄 A la fin de notre promenade dans la neige nous avions parfois plus de 5 francs ! Une vraie fortune que nous allions dépenser en bonbons à la boulangerie. Nous n’avions pas dix ans mais nos parents nous laissaient trainer dans les rues et dans les bois à plusieurs kilomètres de nos maisons et cela ne posait aucun problème. Niveau costume, c’est souvent ma mère qui me les fabriquait, un de mes derniers costumes a été celui d’Esteban dans les mystérieuses citées d’or, un dessin animé dont aujourd’hui encore je suis toujours fan. Mais sinon la papeterie du village vendait des dizaines de petits masques en plastique si fins qu’ils ne duraient qu’un jour. Nous regardions avec envie les premiers masques en latex, dont un de sorcière. Un jour ma voisine me l’a offert, c’était magique, je l’ai gardé plus de vingt ans. Enfin, je parle de moi mais une fois de plus nous étions toute une bande et ce temps était vraiment fait pour les enfants sans surveillance particulière.
Aujourd’hui Carnaval tombe pendant les vacances scolaires donc pas un seul enfant dans la rue et même si il y a des enfants les parents sont derrière et vérifient tout ce qui se passe. La population a changé, les villageois du temps jadis sont morts, leurs enfants sont partis trouver du travail ailleurs et en règle générale Carnaval n’est plus qu’une fête de tout petits hyper protégés par les néos ruraux angoissés à force de regarder les informations à la TV et de lire des nouvelles anxiogènes sur leurs réseaux sociaux.
L’autre raison qui faisait que l’on aimait Carnaval c’était que le lendemain toute la joie disparaissait. Il fallait suivre une longue messe pendant laquelle on recevait des cendres pour symboliser l’entrée en Carême. Pour nous les enfants cette période était pénible car elle voulait dire beaucoup moins de bonbons et l’obligation de mettre des sous dans une tirelire pour les donner à des enfants pauvres. Le geste était beau mais personne ne faisait de réels efforts pour nous expliquer l’utilité de nos privations, alors nous serrions les dents jusqu’au dimanche des rameaux où l’on avait les œufs en chocolat vendus au bénéfice des écoles privées (ça existe toujours) puis une fois passée cette horrible semaine sainte avec toutes ces messes en soirée c’était la magie de Pâques avec les œufs lapins et poules en chocolat suisse planqués dans le jardin.
Alors oui, je ne parle que de bouffe ou presque, mais bon lorsque j’étais au primaire mes seuls plaisirs ne passaient que par la nourriture et les dessins animés du mercredi. Je n’ai jamais eu de loisirs organisés ou autres et j’étais déjà assez exclusif au niveau de mes amitiés. Du coup ce qui me revient en tête ce sont les choses liées à la nourriture des jours de fête. Sans doute une clef de compréhension pour mes soucis actuels…
Au delà de ma personne, force m’est de constater que Carnaval n’existe presque plus. Cette fête religieuse dont l’origine de son nom « Carne vale » signifie l’adieu à la viande, était dans les temps anciens une grande fête populaire théâtre de beuveries et de débordements en tout genres. On se faisait plaisir une dernière fois avant de se priver pendant les quarante jours du Carême et on en profitait pour laisser échapper de la vapeur en relâchant quelques pulsions. C’est encore un peu le cas dans les carnavals historique des grandes villes de France qui restent très vivaces et surtout en Amérique latine sauf que cette année, les brésiliens divisés ont moins le cœur à la fête. 🙄
Par la suite, heureusement ou non, la religion a commencé à reculer et du coup faute de respecter le carême, Carnaval s’est vidé de son sens et est devenu dans nos villages une fête pour les enfants. Aujourd’hui seuls les chrétiens très, (trop) convaincus font encore un carême à base de privations sèches sans dimension solidaire. Pour les modérés ce temps est plus un temps de réflexion et de rapprochement avec Dieu et les autres à travers des actes de partage porteurs de sens. Lorsque je faisais le caté je demandais aux enfants d’amener des ingrédients payés avec leurs sous pour faire des gâteaux ensemble que nous allions vendre à la sortie de l’Église avant de donner le bénéfice de notre travail à un organisme sérieux et efficace. Cela avait du sens puisque c’était une occasion de comprendre la valeur du travail et de ressentir la satisfaction de faire quelque chose d’utile pour d’autres enfants dont je pouvais leur expliquer les difficultés avec le support d’Internet.
Au bout du compte, cette lente déliquescence de Carnaval n’a été que le premier domino d’une suite de disparitions de moments heureux et porteurs de sens. Plus de Carnaval car plus de carême donc la fête de Pâques n’est plus qu’un Noël bis ou la dinde est remplacée par du mouton et où les chocolats ont une autre forme. Fini le folklore des cloches qui partent pour Rome avant de revenir chargées de chocolats…
Tous ces petits moments de bonheur vécus entre enfants autonomes et à qui on faisait confiance dans des communautés (village, paroisse, association…) ont été remplacés par des plaisirs procurés de façon individuelle dans chaque maison où les enfants restent derrière leurs écrans « sousveillés » par des parents qui ne comprennent pas que les dangers du virtuel et de l’Internet sont biens plus grands que ceux du monde extérieur.
Face à ce vide on pourrait encore mettre du symbolique en expliquant par exemple pourquoi on donne des œufs à Pâques (La vraie arrivée du printemps le retour de la vie tout cela est résumé par l’œuf qui symbolise cette vie nouvelle). Mais non, le symbolique a été jeté avec la religion comme on jette le bébé avec l’eau du bain.
J’ai été long ce soir et je suis plus nostalgique que jamais, je vais donc finir mon travail pour demain et aller boire quelques bières histoire de faire un carnaval abusif comme autrefois et être assez mal demain matin pour avoir envie de faire un carême païen pour retrouver un peu de santé en perdant un peu de poids. Bon carnaval ! 😀