Je continue donc d’exhumer ce que j’ai écrit dans la période 2005-2009 sur mon ancien blog.
Cette semaine c’est le texte du 30 novembre 2007 que je ressors car là encore, coïncidence ou non, il fait de nouveau écho à une nouvelle situation au travail.
Le 30 novembre 2007, un enfant revenait à l’établissement peu après le décès de sa petite sœur atteinte d’une maladie génétique. L’événement avait été très difficile pour les enfants et pour l’équipe car lorsque l’on travaille avec des enfants, l’idée de la mort s’éloigne parfois énormément. Je faisais partie des adultes qui avaient décidé de venir à l’enterrement de la petite et toute ma vie je me souviendrai des cris de son grand frère qui résonnaient dans la grande nef de l’église. 11 ans plus tard son chagrin me touche encore au point d’avoir les larmes aux yeux en tapant ces lignes.
Vendredi 30 novembre 2007
Cher Francis,
Depuis deux jours notre petit établissement est comme assommé. Hier matin nous apprenions avec une grande tristesse la mort de la petite sœur de l’un des enfants que nous accueillons. Un enfant qui quelques jours plus tôt montrait avec joie et fierté la photo de sa petite sœur qu’il aimait tendrement de tout son cœur de grand frère. La petite fille, âgée de quelques mois, était atteinte par une maladie génétique. Ce matin sa maman téléphone très tôt à l’établissement pour annoncer que son fils souhaite passer dans la journée pour voir ses copains. Nous avons donc décidé d’annoncer sans plus tarder à tous les enfants cette nouvelle tragique qui frappait l’un des leurs. Nous savions ce qui allait se passer.
Comme nous l’avions prévu, la journée s’enlisa alors dans une succession de crises de larmes reflétant à la fois l’angoisse des enfants face à la mort et la tristesse profonde et sincère qu’ils ressentaient pour leur copain par empathie. Une chape de plomb s’était abattue sur eux. Les plus forts d’entre eux nous aidaient à réconforter les plus affligés.D’autres enfants encore plus affectés disaient qu’ils voulaient mourir eux-aussi ou revivaient leur propres rencontres avec la mort. Tous avaient besoin d’écoute, de réponses, et avant tout de réconfort. Notre petite équipe a donc fait de son mieux face aux demandes et à leurs diverses manifestation. En ce qui me concerne j’ai passé la journée avec les grands qui m’ont vraiment impressionné par leur lucidité et leur courage face à l’annonce de cette mort. La sincérité de leurs émotions, le courage de certain d’entre eux pourtant très affectés, étaient tout à leur honneur. Après avoir repris chaque débordement et après avoir tenté de mettre des mots sur les angoisses des enfants que j’accompagnais, le moment de la visite de leur copain en deuil arriva.
L’enfant pâle et frêle entra dans la pièce en montrant une grande photo sur laquelle on voyait ce bébé plein de vie. Il avança vers moi et d’une voix désincarné me dit ainsi qu’à ses copains: « c’est ma petite sœur, elle est morte » Puis il poursuivit « Finalement nous avons choisi la couleur du cercueil , il sera blanc » La précision rigide de sa syntaxe qui d’habitude me faisait tant sourire me glaça le sang. D’un seul coup je sentis mes défenses s’effondrer face à une réalité que désormais je ne pouvais plus éviter; l’infinie tristesse d’un jeune enfant que je connaissais bien face au décès de sa petite sœur. Profondément ému je mis ma main sur l’épaule du jeune garçon dans l’espoir de faire naître un réconfort qu’à cet instant j’espérais mutuel. Quelques paroles sortirent de ma bouche inspirées par mon cœur et mon envie de soutenir cet enfant. J’insistais ainsi sur le travail autour du spectacle de Noël, sur le fait que nous attendions son retour quand il serait prêt à revenir. Je cherchais par ces mots à lui rappeler les liens qui existent et à lui montrer qu’à son retour notre petite routine rassurante reprendrait en lui redonnant ainsi les repères dont il a tant besoin du fait de sa déficience. Cependant mes mots étaient au fond très ridicules et maladroits car le jeune garçon qui vient d’assister à la mise en bière de sa sœur n’a peut être pas encore réalisé ce que veut dire ces mots qu’il prononce comme une récitation apprise avec sa maîtresse: « Elle est morte »
Le travail de deuil est un processus intra-psychique consécutif à la perte d’un objet d’attachement. Selon certains auteurs il passe par quatre phases: Refus- Colère- Dépression- Acceptation. Ce schéma retenu pour l’adulte est inscrit dans la durée, selon les individus et leurs facultés de résilience chaque phase peut durer plus ou moins longtemps. Dans le cas du jeune garçon déficient que nous accompagnons, le chemin vers l’acceptation de ce deuil cruel qui le frappe ne fait que commencer. Nous serons là pour l’aider avec tout notre professionnalisme et avant tout, tout notre cœur.
Ce travail passe par la présence de certains d’entre nous aux obsèques demain matin. Je ferai partie du nombre.