Archive du dimanche 10 décembre 2006
Cher Francis,
Tout d’abord, cette nuit il a neigé trois centimètres de neige fondue.
Ce matin en prenant mon petit déjeuner royal du dimanche matin (une baguette encore chaude dévorée entière avec du beurre au lait cru et du miel), je décidais de mettre les informations sur mon petit poste radio. Après avoir réglé l’engin sur la station désirée je commençais à écouter les nouvelles qui tournaient en boucle.
L’une d’elle me fit tressaillir.
Une bande de jeunes malmenait un couple de SDF depuis un certain temps déjà en filmant chacune de leurs agressions sur leurs téléphones portables. Ce petit manège avait continué jusqu’à ce que les coups deviennent trop violents. La plainte et les témoignages amenèrent les autorités à interpeller les auteurs de ce délit répété dans le temps.
Il y a encore peu de temps je te parlais que dans ma région les téléphones portables avaient été utilisés pour filmer un viol collectif dans un lycée. La même chose en Suisse le mois dernier.
Face à cette nouvelle forme de violence assistée électroniquement, il y a fort à parier que les esprits moralisateurs se mettent à expliquer cette nouvelle forme de déviance par la violence au cinéma ainsi que par l’accès trop simplifié des jeunes à la haute technologie…
Cependant ni l’une ni l’autre de ces explications n’ont de sens à mes yeux. Bien au contraire elles ne font que selon moi, éloigner le débat des vraies raisons motivant ces actes inqualifiables.
Il est vrai que le cinéma et la télévision diffusent des images et des discours où la violence n’est pas seulement graphique mais aussi psychique voire idéologique. Comme tu le sais je suis un grand consommateur de ces films autant pour m’amuser que pour fournir un exutoire à ma haine des jours ordinaires. A ce titre je visionne des films venus d’Asie où les tabous occidentaux n’ont pas prise.
Malgré cela je suis toujours capable de faire la différence entre le réel et l’imaginaire de ces films tous plus atroces les uns que les autres, jamais je n’ai modifié mes pensées ou mon comportement après avoir vu un film, sauf peut être après « la haine » qui m’a donné envie de m’en prendre aux forces de l’ordre… Mais trente minutes après cette pulsion disparaissait…
Les jeunes qui ont tabassé ces SDF ne sont pas de pauvres psychotiques victimes de la télévision et des films violents et incapable de trier le réel de l’imaginaire. Ce serait trop simple de penser cela, de plus cela leur donnerait une première excuse limitative de responsabilité.
Alors pourquoi taper des SDF et pourquoi le filmer?
Dans une société où tout est spectacle de l’accident de voiture jusqu’aux scènes de la vie privée, les jeunes ont l’impression qu’il faut être filmé pour exister. Beaucoup sont ainsi tentés de passer à la postérité façon Andy Warhol. Filmer un viol ou une agression et le diffuser sur Internet pour devenir célèbre…
L’autre aspect du fait divers qui lui est beaucoup moins évoqué dans les médias, c’est le choix des victimes par ce groupe de jeunes abrutis. Ce n’est pas un hasard si ces tarés ce sont attaqués à des SDF, des moins que rien, des ombres pour lesquels pensaient-ils personne ne viendrait se plaindre. La froideur de cette lâcheté calculée fait frémir et donne envie de mettre en avant le vrai problème qui se cache derrière ce fait d’hiver. Je vais donc réécrire l’information pour exprimer ma pensée:
En France, l’exclusion sociale met des personnes à la rue et en fait des cibles désignées pour des jeunes crétins élevés dans la toute puissance et pensant tout haut ce que le reste de la société pense tout bas c’est à dire que les SDF n’ont ni droits ni la qualité d’être humains. (Sauf bien sûr au moment de verser une petite larme lorsque l’on les retrouve congelés au petit matin).
Et oui mon bon Francis, dans cette info sordide, le premier élément à mettre en avant n’est pas la violence médiatique mais celle de notre société en perte de repères. Dans un monde où la valeur d’un être humain se mesure aux seuls moyens combinés de ses possessions et de son statut social, comment veux-tu que les jeunes apprennent à respecter ceux que la vie a brisé?
D’autant plus que le fait de voir leurs misères ainsi exposées en pleine rue est un rappel, un message constant qui dit: vous aussi vous pouvez finir comme nous… Ajoute à cela la lâcheté de ces salopards ainsi que leurs envies de se faire un nom en médiatisant leurs actes de violence, exutoires de leurs frustrations accumulées, et tu auras un début d’explication des raisons ayant menés à ce geste.
Cependant ces éléments ne doivent pas faire écran à la responsabilité individuelle et collective des auteurs de ce délit d’une lâcheté sans nom, les raisons que j’évoque ne sont que des pistes de réflexion, en aucun cas des excuses. Peu importe leurs convictions motivant leurs actes le simple fait d’être responsables de ses attaques tout en en connaissant le caractère illégal, fait que le délit est constitué sans aucune excuse légale atténuante de responsabilité pénale ou civile.
Les victimes, quand à elles sont déjà retombées dans l’oubli…
15 ans plus tard je n’ai rien à ajouter, hélas…