Archive judiciaire

Archive du lundi 17 décembre 2007

Cher Francis,

       Ce matin je n’étais pas tranquille, j’ai donc demandé à mon chef de service de m’accompagner au tribunal. Le voici de dos sur la photo ci-contre en train d’essayer pour la cinquième fois de passer le portique du détecteur de métaux… Quelques instants de rigolade avant la suite, nettement moins marrante.

Après avoir attendu une dizaine de minutes, la juge nous fait entrer. « Nous » c’est la mère, l’enfant et les quatre professionnels accompagnant la petite fille dans divers cadres. Nous prenons place sur des chaises disposées en arc de cercle devant l’immense bureau de la juge, une très élégante trentenaire avec un charme indéniable.

Le bureau de la juge des enfants est un endroit étrange où les épais et austères dossiers côtoient des jouets négligemment rangés dans un coin de la pièce. Dans un grand meuble en bois laqué se pavanent les éditions récentes des différents codes juridiques. Je les contemplais avec nostalgie en me rappelant de l’époque pas si lointaine, où je passais des heures à travailler avec ces fascicules.

Soudain ma mélancolie fut interrompue par la voix sèche et sévère du magistrat. Sans plus de formalités elle commença à expliquer le pourquoi de l’audience. Il s’agissait de déterminer au terme des six mois d’une ordonnance de placement provisoire si l’enfant devait être ou non rendu à sa mère. 

La juge commença par interroger la mère pour lui demander son avis. D’une voix peu assurée elle répondit

– « Je veux qu’elle revienne »

Cette maman aussi démunie qu’angoissée ressemblait à une petite fille apeurée devant une maîtresse d’école lui reprochant de ne pas avoir appris sa leçon. A coté d’elle sa gamine la regardait avec étonnement  tout en balançant ses jambes.

Puis la juge commença à lire les différents rapports puis à interroger les professionnels devant elle. Quand mon tour arriva, je fus interrogé sur les progrès de l’enfant et sur l’opportunité d’un placement en internat. Je n’eus aucun mal à m’exprimer, mon chef de service me félicita d’ailleurs pour ma prestation.

Puis la décision tomba sans formalités, sans coup de marteau, sans tournure rituelle du genre  « Au vu de…. » 

La mesure de placement était prolongée et étendue à la petite sœur de l’enfant.

Étudier la protection de l’enfance en cours c’est passionnant, mais être témoin actif du fonctionnement impitoyable de l’appareil judiciaire est loin d’être exaltant. J’ai beau me dire que c’est pour le bien de l’enfant, il m’est difficile accepter le fait que ce soir une maman va devoir remettre son bébé de 5 mois à un travailleur social afin qu’il soit emmené dans une famille d’accueil d’urgence.

Maintenant je vais devoir expliquer cela à sa grande sœur…

14 ans plus tard, je ne me souviens même plus de quel enfant il s’agissait. je n’ai non jamais retravaillé avec le juge pour enfants. Ce souvenir un peu flou n’en est pas moins un rappel; mon métier est connecté à de multiples autres domaines et je dois toujours me préparer à devoir travailler avec une assistante sociale, une éducatrice au domicile ou bien sûr un ou une magistrat(e). Le fait de ne pas l’avoir fait en dit long sur l’état du social en France. Aujourd’hui faute de moyens et de volonté pour les financer, les mesures de déplacement deviennent exceptionnelles. 🙄

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