Archive du lundi 10 octobre 2005
Lundi 10 octobre
Cher Francis,
Le soleil brille avec force depuis plusieurs jours sur notre chère Franche-Comté. Nous sommes en train de vivre un vrai été indien. Ce faux printemps m’a remis du baume au cœur. Cependant ce qui m’a vraiment aidé à retrouver mon entrain habituel a été cette belle journée passée auprès des enfants.
Dès le matin ils manifestent leur joie de me revoir sans fausse pudeur et sans retenue comme seuls les enfants savent le faire. Certains même m’appellent mon pote, je suis obligé de préciser les choses mais je ne peux ignorer ce qui est derrière ce qualificatif. Bien loin d’être un manque de respect cette façon de parler est une marque d’affection qui malgré sa maladresse me fait un grand plaisir. C’est d’ailleurs pour cela que je reprends à chaque fois en commençant par dire « moi aussi je suis content de te revoir mais… »
Et oui mon cher Francis tu sais que je travaille auprès d’enfants dits handicapés. Pourtant pour moi aucun d’entre eux ne l’est, ils ont leurs problèmes et leurs limites comme chacun d’entre nous. Je ne vois jamais un enfant comme un être porteur d’une pathologie ou d’un trouble psychique. Ce que je vois c’est un enfant que je connais et que je respecte pour ses qualités. Bien sûr cela est facile lorsque l’on travaille avec les mêmes jeunes présentant des troubles limités, ma belle philosophie serait sans nul doute un vrai défi dans le cadre d’un travail avec un public moins apte à communiquer ce qui fait d’eux des êtres uniques et irremplaçables.
Bien sûr mon travail avec les jeunes prend en compte les difficultés que leurs pathologies amènent. Cependant pour moi les précautions à prendre dans un récit avec un jeune présentant des troubles psychotique sont de même nature que celle à prendre avec une personne allergique lors d’un banquet constitué de mets divers et variés. Il s’agit juste d’une particularité de la personne et non d’une immense tare qui vient souiller l’intégralité de son être physique et psychique comme le terme « handicap » le suggère.
Je déteste ce terme qui pour moi est vide de sens et qui sert avant tout à stigmatiser une partie importante de la société pour rassurer l’autre partie qui elle s’estime différente, supérieure car épargnée par la loterie génétique. En effet le handicap n’est pas un critère objectif. Il s’agit au contraire d’une construction intellectuelle hautement subjective dont le contenu ne cesse de varier. C’est ainsi qu’au siècle dernier les boiteux n’étaient pas considérés comme des handicapés.
Nous pouvons même, mon cher ami muet, imaginer une société hygiéniste où l’obèse sera lui aussi classé comme handicapé… Il suffit juste d’une petite volonté politique pour y arriver…
Cette notion de « handicap »devrait disparaître au profit du terme désavantage. D’autre part elle ne devrait concerner que la prise en charge matérielle par la société des aspects matériels et pécuniaires des incapacités.
Hélas à notre époque l’étiquette « handicapé » déborde sur tous les aspect de vie de la personne la résumant à son handicap. La personne peut être un philosophe émérite, un grand acteur, un immense scientifique, il reste avant tout Alexandre Jollien l’infirme moteur cérébral, Duquenne le trisomique du huitième jour, et Hawkings le paralytique.
Les enfants souffrent du regard et des paroles qui accompagne cette étiquette. Ils souffrent aussi du rejet ainsi produit. Notre équipe tente de répondre aux malaises ainsi causés chez les enfants souvent très sensibles. Cependant les blessures même cicatrisées demeurent en eux sans parler de tous les autres accidents et agressions verbales directes ou non dont ils n’osent ou peuvent nous parler.
Cela est cher payé pour une fiction collective.