Aujourd’hui en sortant du travail je suis allé chercher 6 pieds de géraniums pour les mettre dans les deux jardinières sur le balcon. Pourquoi ? Et bien parce que tous les voisins affichent leurs géraniums et aussi parce que ce geste annuel fait partie de ces choses que l’on fait chaque année à l’identique prétendument par habitude ou par tradition alors qu’en fait nous les exécutons comme un rituel magique nous permettant de ne rien changer d’une année à l’autre. Le mot d’ordre implicite est donné : reproduire le passé dans les moindres détails et surtout éviter toute innovation déstabilisante.
Alors voilà, j’étais là les mains dans le terreau quand ma cousine est arrivée pour récupérer une lettre vu que son courrier continue d’être envoyé chez moi malgré mes démarches. C’est à ce moment qu’elle me parle de ses enfants qui se plaisent tant dans les écoles de mon village et qui s’y font pas mal d’amis tout en commençant à baragouiner quelques mots de français. Nous parlons de leurs facéties, des autres familles ukrainiennes bizarres qui sont dans le village d’à coté et que ma cousine fréquente de moins en moins car à chaque fois elle est à deux doigts de se faire arnaquer (le coup de « ma carte bancaire ne marche pas »). je lui conseille de faire le tri et de prendre ses distances. Je tente aussi de savoir ce qu’elle fait pour elle-même…
Et à force d’insister je finis par comprendre que ma cousine souffre du même problème que le mien, elle s’interdit d’être heureuse. Elle est logée gratuitement dans un très bel appartement, ses enfants sont scolarisés et apprennent plein de choses en vivant de beaux moments, je suis juste à coté en cas de soucis, mais non, rien n’y fait, elle n’exprime au mieux qu’un soulagement de se retrouver dans le cadre calme et paisible d’un village bourgeois muni de solides infrastructures mais ne dira jamais que la vie est belle et qu’elle désire tenter de faire de cet exil temporaire non pas une épreuve, mais une chance de vivre avec ses enfants une expérience qui à posteriori se révélera enrichissante pour tous.
Alors ce soir, histoire de bien me faire comprendre son trouble, elle parle dans un article sur le réseau social des vieux (Facebook) de ce conflit entre ce sentiment de bien-être et la culpabilité qui l’empêche de le ressentir puisqu’elle pense constamment à son pays qui est actuellement en pleine russification.
Et là je me dis qu’il faudrait qu’elle trouve un travail d’aide à la personne pour arrêter de s’apitoyer sur elle-même et profiter de ce qu’elle a en ce moment. Mais bon, si je veux vraiment être honnête mon idée est débile vu que pour moi ma carrière toute entière au service des plus malheureux que moi ne m’a absolument jamais aidé à savourer ma chance et à m’autoriser d’être heureux. A vrai dire, ces dernières années c’est même le contraire puisque je commence même à perdre tout espoir dans la nature humaine en voyant que d’année en année les visages changent mais que les tragédies restent les mêmes. On peut changer les prénoms mais pour changer les destins c’est bien plus compliqué et l’état actuel du secteur médico-social exsangue de financements ne va rien arranger.
Demain à midi c’est le pont, l’occasion de faire de la musique, du rangement et surtout du jardin, c’est aussi surtout et avant tout l’occasion de passer du temps avec un ami ou deux histoire de croire l’espace de quelques instants au jour où moi aussi je mériterai de devenir quelqu’un dont on apprécie la compagnie.
Quelques instants passés la tête hors de l’eau en ayant des rapports normaux et de riches interactions avec diverses personnes juste avant de replonger dans les eaux froides et sombres de cette solitude; naguère fidèle compagne, mais qu’à présent je rejette violemment après avoir expérimenté le mirage de la famille ukrainienne qui m’a rappelé de façon agréable puis très douloureuse un fait central dans ma vie qui se résume en une courte et abrupte constatation : j’ai oublié de vivre.
Tu as toujours les photos et les textes du bricolage qu’on avait fait lors du confinement – une photo dans un rayon de 10 kms —
Fais lui lire , ou lis avec elle si elle ne maitrise pas assez la langue Française .
Ca va la faire voyager d’un point à un autre , voyager aussi dans la tète de ceux qui ont pris la plume .
Un moment suspendu , en quelque sorte 😉
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Hélas non, elle n’a pas vraiment envie de lire, je lui ai proposé d’aller s’inscrire à la médiathèque du village, mais non elle ne veut pas. je dois lui trouver un travail, ou alors une simple occupation pour qu’elle se débloque.
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Elle était dans quelle branche avant cette guerre ?
Elle avait quoi comme hobby ???
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